Rue du Château

Longeant les dépendances de la forteresse
La rue du Château a perdu ses halles

Sa partie endimanchée sous les costumes et les coiffes
Anciennement rue de l'Eglise
Reçoit toujours les mariages
Comme on accueille les promesses d'enfants

Si l'on s'avance un peu à l'écoute des vieux bruits
La porte des épiceries tintent dans les mémoires
La cabine téléphonique Au Bon Marché
Retrouve sa manivelle dans le souvenir public
La cordonnerie répare les silences pesants
Entre les heures frappées par le clocher

Les bonbons luisent encore dans les bocaux
Les godillots à clous et les semelles de cuir
Marchent dans les esprits
Et la parole qui coule à flot
N'est pas creuse de solidarité

Impasse de la Chatière

Le propre de l'impasse de la Chatière
C'est le propre de toute impasse
La sortie et l'entrée ne forment qu'un seul chemin
A moins que l'accueil des habitants
Sous leur toit braisé d'histoire
Que les légendes sous les doigts des vieilles gens
Et la piquette de la région
Vous invitent à trouver une autre sortie
L'imagination d'après les broussailles

Alors la beauté de son village en bandoulière
On se sent partir en bateau pour l'aventure
Eclairé d'issues et happé par le vent du large
Vers le Saint-Laurent et les Grands Lacs
On se sent rejoindre l'Acadie par le rêve
Quand l'espace de l'impasse renverse son bâton de pluie

Rue de la Chatière

A l'abri de la Mairie et de la salle des fêtes
La rue de la Chatière ramassée sur ses pattes de derrière l'école
Discrètement cachée dort

Parfois elle veille en coulisse
Aux préparatifs des jours de brocante
Aux parfums de la Fête des Fleurs
Aux goûts et aux saveurs des tables réunies
Et des traditions populaires

C'est le passage obligé des enfants
Qui font le tour par la place de la Mairie
En vélo en scooter ou à pied
Des billes plein les vacances
Et des poupées plein les coffres à congés

La rue est un trait d'union
Echangeur miniature et oisif
Entre deux bras articulés de départs et d'arrivées

Rue des Douves

En passant par les vestiges de la porte d'Aydie
La rue des Douves fait l'inventaire de ses pierres blanches
Agrippées au lierre du temps

En partie à l'intérieur des remparts et desservant l'épicerie
Forte d'appartenir à l'ancienne Grande Rue du bourg
Elle tient lieu de gîte aux rencontres
Où les sourires rendent infimes les fardeaux
Où les regards et les signes de têtes
Comme des solives soutiennent les journées
Elle est la plaque tournante de la parole
La cuisinière des débats et des entrevues

Droite et longue comme un coquelicot
Un outil de maréchal-ferrant
Elle ouvre sur la place vers la fontaine
Un espace de sa cuisse pour les joueurs de boules
Généreuse elle conduit loin dans le faubourg
Le souvenir des fossés et leur monde inondé

Rue du Chêne Vert

Du faîte d'un toit à l'angle de la rue du Chêne Vert
Un porte-drapeau contemple les rénovations
Il surveille les travaux
Et embrasse les scènes d'embellissement

L'époque de la restauration est en cours
Pour cette rue concise aux grilles moyenâgeuses
A l'escalier qui reprend sa tour de garde
Aux heurtoirs francs et lourds
Sur le bois des portes cintrées

Au festival des vieilles pierres
L'alphabet expose ses plus belles pièces
Des lettres en guise d'ancres de chaînages
Racontent le mur d'enceinte et le remplissage des douves

Dans la rue où les volets sont des fruits rouges
La rouille ne rit plus à la barbe des gonds
Depuis qu'elle perd ses batailles oxydées

Rue des Innocents

De bien vieilles maisons sont logées rue des Innocents
Et l'on ne donnait pas cher de leurs portes
Cibles des joutes armées du vent
De leurs fenêtres essoufflées
De leurs murs assaillis par la veillée des pluies
Et des épines végétales

Mais des mains plus rondes que les voûtes
Plus larges que les âtres
Sont venues relever le défi des âges
Restaurer le trésor des marches
Et réchauffer les cheminées d'antan
Sous l'oeil attendri des poutres

Les hirondelles qui préparent le grand départ
Leur crient du haut du ciel
Maisons d'un autre souffle
Vous vous êtes jouées de la meule du temps

Rue des Cordeliers

 

La rue des Cordeliers est une partie
De l'ancienne rue de derrière la ville
Qui s'est séparée en deux
Comme deux corps se séparent
Comme une noix ouverte

Les toits y déclinent leur ombre
Puisée dans une autre époque

A midi guettant l'orage et ses lézardes
Le frais habite sous terre
Pour ne pas se perdre dans la journée

Par endroits l'horizon s'élargit d'espaces
Jusque dans la façade des murs de la vieille ville
Dans le tronc d'arbres fruitiers esseulés

La rue est simple
Bonne comme la campagne
Embusquée dans son histoire
Vers la porte de la Chatière
Et le faubourg d'un autre temps

Rue de la Fontaine

Sans même considérer son vieux nom de Faubourg Laitier
La rue de la Fontaine est la sur des liquides
Et quatre points d'eau la désaltèrent à tour de rôle

Un point d'eau courante
Dont jadis ont coulé d'une bouche généreuse
Les glaçons d'été et les épées d'hiver
La fontaine pure d'eau et de cris jaillissants

Un point d'eau presque immobile
Dont les pierres autour se souviennent
Des genoux rouges des lavandières
Le lavoir aux odeurs de savon et aux battoirs violents

Un point d'eau vive
Dont les mèches de lumière débouchent de la partie couverte
Dodelinent en cascade douce jusqu'à l'abreuvoir
Le ruisseau gambade dans un murmure apaisant

Un point d'eau massif et mouvant
Dont le lent défilé a croisé celui des vaches et des chèvres
Impénétrable lit sombre de rivière
Où la Creuse forte et profonde joue un air de solitude

Rue du Four Banal

 

A l'entrée du bourg
Par la rue du Four Banal
Les papillons viennent de nos émotions
Compagnons de nos métamorphoses
Jusqu'à l'auberge au chapeau d'ardoises

La rue aussi s'est métamorphosée
Etroite et confidentielle
Elle a ouvert ses bras
Pour une autre fournée de pains
Un autre passage public vers Le Grand-Pressigny
Ou vers La Petite Guerche par le pont
Sur lequel les éphémères chaque soir
Préparent la Grande Ourse qu'ils ont vu tout le jour
Dans le creux de nos mains

Rue des Granges

 

Dans la rue des Granges aux souvenirs
Il y a bien sûr ceux des écoliers
Mais il y a aussi ceux des morts

Entre la chapelle et les jardins
Le temps sourit aux enfants du centre aéré
Sans complaisance pour leurs camarades
Allongés à droite en entrant dans le cimetière

La vie et la mort se sentent si proches
Si quotidiennes dans la poche de leurs jours

De loin après La Creusette
La colline salue les potagers
La forêt balance ses têtes
Et l'Epinat admire les fleurs de la rue
Qui écrivent leur parfum sur un ciel dégagé

D'autres maisons sont nées sur cette route de Châtillon
Comme pour border le village
Mieux retenir ses trottoirs fuyant vers l'inconnu
Vers l'autre bout de la vie
Et l'injustice dont elle s'est parfois chargée

Christophe Forgeot
(Extrait de La Guerche, regards d'artistes sur un village de Touraine, éd. Fer de Chances, 1998.)

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